[Web Creator] [LMSOFT]

Les Enjeux de l'Agriculture Naturelle
        
        Introduction

Au-delà des différents labels, agréments  et certifications, nous allons appréhender l'agriculture naturelle dans sa réalité agronomique. Le but est de comprendre quel peut être l’impact des modes de production sur l’environnement et sur la typicité de certaines pruductions (vins, fromages,...). Etre “ Bio ” ou pas concerne les engrais et les maladies. Ce sont surtout les différents systèmes de lutte qui vont présider l’approche.
Nous allons voir différents concepts de lutte allant de la guerre à la médiation, en dégageant les inconvénients et les atouts de chacun.
Nous conclurons sur les enjeux réels de la voie naturaliste.

La lutte systématique

Développée dans les années cinquante dans le but que le pays retrouve son équilibre alimentaire, elle a suivi les progrès techniques et commerciaux de l’industrie phytosanitaire et de la mécanisation. La multiplication des molécules, l’augmentation de leur puissance et le développement d’un réseau associant commerce et conseil ont contribué à une implantation massive de ce système simpliste. On se base sur la rémanence  du produit qui conditionne les applications.
Les inconvénients sont multiples : cette lutte est aveugle, nuisible à l’environnement et à son utilisateur, mais surtout, elle ne garantit pas la préservation du vignoble et de la récolte alors qu’elle est la plus coûteuse. Question impact sur l’environnement, les matières actives sont extrêmement puissantes et détruisent généralement toute la microflore. On crée une zone aseptisée, sans concurrence, qui deviendra un milieu facile à coloniser pour tout microorganisme adapté (similitude avec les maladies nosocomiales). Parmi ceux-là figurent les mutants des espèces combattues, devenus résistants à la matière active employée régulièrement. Les produits sont extrêmement dangereux pour l’utilisateur inexpérimenté, mal informé ou idiot, pardon négligent. Devant la recrudescence des problèmes liés aux traitements phytosanitaires, les pouvoirs publics réfléchissent à la nécessité d’une capacité professionnelle obligatoire pour toute pulvérisation (viticulture et arboriculture).
          Outre ce fait aujourd'hui tout juste admis, les sols n'ont pas la capacité à retenir les matières actives ni à les dégrader, elles sont lessivées et vont polluer les nappes et les cours d'eau.

La lutte raisonnée

          S’inscrivant dans le cadre de l’agriculture raisonnée, elle se pratique à l’échelle de la propriété et se base sur la notion de risque phytosanitaire.
Elle doit satisfaire aux nouvelles exigences de la société en terme de traçabilité et de respect de l’environnement. Elle a pour ambition de maîtriser les effets négatifs de l’agriculture sur l’environnement tout en assurant, grâce à la qualité des produits élaborés dans ce cadre, l’amélioration de la rentabilité économique de l’exploitation. On a pu modéliser le développement des champignons pathogènes parce que leur cycle épidémique est étroitement lié aux conditions  météorologiques. Les organismes spécialisés délivrent localement des avertissements qui déterminent l’intervention chimique. On vise ainsi à supprimer les traitements préventifs pour finalement n’appliquer que les traitements nécessaires. C’est une méthode plus intelligente, d’un coût moindre et justifié mais qui ne fait appel qu’à l’intervention chimique. Elle ne combat que les effets des maladies sans se préoccuper des causes. Ce système satisfait mieux à la demande des consommateurs, matérialisée par celle de la grande distribution, vers une certification simple, identifiable, au cahier des charges plus facile à mettre en œuvre que l’agriculture biologique.

Les mesures prophylactiques

Un bien grand mot pour simplement du bon sens : ces mesures concernent toutes les interventions qui gênent ou empêchent  l'expansion des maladies et la conservation des foyers, (comme le préservatif contre le SIDA). Elles ne détruisent pas les fléaux, elles contribuent à empêcher leur implantation et leur propagation. Les formes de survie des pathogènes se conservent sur les bois infestés, dans les amas de feuilles et bois morts et les zones humides (flaques, mares et fossés). La première des mesures est l’élimination de ces zones humides.
Concernant les bois, le broyage des sarments est à proscrire. Les souches infectées qui dépérissent doivent être arrachées. Il est inutile de “ sortir les bois ” de la vigne, ceps et sarments, pour les entasser à proximité de la ferme. La dissémination des spores peut se faire 2 kilomètres autour du tas. Il faut donc brûler ces bois ne serait-ce que pour la braise et l’entrecôte, les composter, ou les conditionner en sac (sarments broyés). Dans le cas des débris végétaux, un simple enfouissement suffit à neutraliser les foyers.

La lutte intégrée

On passe ici à une autre conception de l’agriculture en général, et de la viticulture en particulier. Les luttes systématique et raisonnée sont affiliées, elles prônent le tout chimique pour ne combattre que les effets des maladies. La lutte intégrée s’approche doucement de l’agrobiologie. Elle s’inscrit dans la production intégrée, définie par l’Organisation Internationale de la Lutte Biologique (O.I.L.B.) : la production intégrée en viticulture consiste en une production durable, économiquement viable de raisins de haute qualité, donnant priorité à des méthodes écologiquement plus saines, minimisant les effets non intentionnels indésirables et l’utilisation des produits phyto-pharmaceutiques, en vue de préserver l’environnement et la santé humaine.
Elle favorise délibérément  les mécanismes de régulation naturelle en maintenant une diversité biologique dans l’écosystème et ses alentours.
Dans la pratique, la lutte intégrée résulte de la synthèse des mesures prophylactiques, de la lutte raisonnée et de la notion de perte de récolte. On va instaurer, ou rétablir, un équilibre entre la vigne, son écosystème et le climat local. On va rendre l’environnement direct hostile aux pathogènes pour en limiter les attaques. On acceptera une petite perte de récolte si le coût est moindre que celui d’une intervention chimique. Ce système de lutte est sans doute le meilleur compromis mais nécessite de la part du viticulteur une grande connaissance du milieu, doublée d’une motivation à toute épreuve.
          
La viticulture naturelle

On emploiera ce terme car on parle ici de concept et non de certification. On rentre dans un monde où l’utilisation de tout produit de synthèse industrielle est bannie, sauf dérogation. La viticulture naturelle ne se limite pas à la suppression des interventions chimiques, c’est une approche complète quasi opposée à l’agriculture conventionnelle. Claude Bourguignon distingue l’agrologie de l’agronomie : l’agrologie est comme la science, la connaissance du champ, alors que l’agronomie en est la loi, la police. Dépasser l’agronomie revient à passer  d'une approche dirigiste et simplificatrice de l’agriculture à une approche plus scientifique et plus globale. Il ne s’agit plus de forcer la vigne, ou l’animal d'ailleurs, à se plier à notre modèle productiviste, mais de comprendre la complexité de la nature et  à’accepter ce qu'elle est à même de donner.
Au-delà de cette idée se profile une conception différente, pour ne pas dire alternative dans le contexte actuel, de l'agriculture conventionnelle. En effet, l’objectif agricole initial était : comment contraindre l’écosystème à supporter la culture qui produira ce que je veux ?
Elle devient : comment inciter  l’écosystème à accepter la culture ? et, une fois acceptée, la culture et l’endroit pourraient-ils ensemble conduire à un produit particulier, riche et bon, en quantité suffisante ?
Cette dernière phrase introduit le maillon aval lié à la commercialisation des produits. Lorsque cette agriculture est judicieusement pratiquée, elle amène une qualité différentielle (goût, arômes, éthique, sanitaire) qui ouvre de nouvelles perspectives commerciales.
Ce qui est un aboutissement pour la Production devient le point de départ de l'approche par le Marché.

On distinguera la viticulture biologique, bio-dynamique et naturelle, en gardant à l’esprit que la viticulture est très proche de l’arboriculture et que toutes deux sont des disciplines de l’agriculture.

L’agriculture biologique

La France est le premier pays au monde à avoir créé une législation sur l’agriculture biologique. C’est en 1980 que naît la première définition légale: “ c’est l’agriculture n’utilisant pas de produits chimiques de synthèse ” (loi d’orientation agricole n° 80-502 du 4 juillet 1980). Cette loi est complétée en 1981 par le décret n° 81-227 du 10 mars relatif à l’homologation des cahiers des charges définissant les conditions de production de l’agriculture biologique (ROUSSEAU, 1991). Apparue il y a 50 ans en Allemagne, elle a subi des influences diverses avant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Depuis HOWARD et PFEIFFER, deux précurseurs, elle est basée sur l’équilibre entre les éléments composant la nature, ainsi que sur l’entretien de la fertilité du sol par l’apport de compost, l'utilisation des engrais verts et le compagnonnage. C’est à partir de ces principes que naît en 1980 la première règle légale définissant l’agriculture biologique. Par la suite, le développement de cette agriculture a entraîné l’apparition d’organismes certificateurs et la mise en place de cahiers des charges. Maintenant, ces organismes font appliquer une réglementation très précise dont le principe essentiel est la non-utilisation de produits chimiques. La viticulture biologique, comme les autres productions, est donc soumise à cette réglementation, avec quelques nuances concernant l’étiquetage notamment.
La pratique de la viticulture biologique nécessite des techniques culturales précises et complexes. Le poste le plus important est l’entretien du sol, car celui-ci influe sur l’ensemble de la culture de la vigne. Pour cela, le couvert végétal est nécessaire car il permet une amélioration de la structure du sol, son enrichissement, et favorise la faune auxiliaire. Pour compléter les effets du couvert végétal, c’est à dire l’enherbement naturel ou non, la fertilisation organique (principalement apportée par compost) remplace les engrais chimiques. Nous reviendrons sur ce point essentiel. Après l’entretien du sol, la principale préoccupation du viticulteur “ bio ” reste la protection de la vigne. A ce niveau, il est confronté à deux impasses : l’utilisation excessive de cuivre, et la lutte contre la flavescence dorée. Les autres maladies et ravageurs ont généralement peu de conséquences sur la vigne “ bio ” grâce à l’équilibre général de la culture et à certaines méthodes performantes, lutte biologique et confusion sexuelle. Il ne faut pas imaginer que la viticulture biologique est simple à mettre en œuvre, qu’on laisse faire la nature, au contraire. C’est bien parce qu’on s’interdit toute intervention chimique et radicale qu’il faut faire preuve d’un haut niveau de technicité. La complexité de la viticulture biologique entraîne obligatoirement une modification de l’ensemble de l’exploitation (notamment par l’augmentation de la main d’œuvre nécessaire), mais également de son résultat. En effet, pendant la période de conversion de trois ans, l’augmentation des charges sans contrepartie entraîne une diminution nette du résultat. Par contre, une fois la production vendue sous l’appellation “ issue de raisins de l’agriculture biologique ”, les charges sont largement compensées, d’autant plus que le marché des vins “ bio ” est en constante augmentation.
Cependant, j'ai longuement hésité à classer cette agriculture dans l'agriculture naturelle. Elle en fait partie sur le plan pratique mais moins sur le plan éthique. En effet, par l'approche du travail du sol et l'emploi de produits non chimiques, elle est naturelle. Mais sur le plan de la méthode, elle reste coercitive et répond souvent à la même démarche que l'agriculture conventionnelle, chimie en moins. Bien qu'allant dans le bon sens, elle va rarement assez loin dans le diagnostic des causes et persiste souvent à combattre les effets.
D'ailleurs, les viticulteurs "bio" se scindent aujourd'hui en deux catégories : les "bio opportunistes ” et les "bio éthiques ”. Les premiers sont des agriculteurs conventionnels reconvertis en espérant satisfaire les nouveaux marchés qui découlent de la mouvance verte. Les seconds sont convaincus de l’urgence d'une autre agriculture, réellement durable. Un conventionnel qui passe au bio s’adapte au cahier des charges exigé pour l'obtention du label. En clair, il change les produits alors qu’il devrait changer la méthode. Un agriculteur naturaliste va reconsidérer intégralement son parcours agricole dans l'optique essentiel de pérenniser et de transmettre l'existant. Ayant fait le plus dur du parcours, il évolue rapidement vers l'agriculture bio-dynamique.
Le “ bio ” a aujourd’hui un impact sociétal très positif. En ayant réveillé les consciences, c’est aujourd’hui une réelle filière économique avec une demande qui fait vivre une production. Tant que les intermédiaires et l’appât du gain ne s’en mêlent pas, on préserve une agriculture locale dont les produits font peu de km en vente directe. Sur le plan agronomique, l’entretien du sol est un bon point que nous reprendrons en synthèse. Les inconvénients demeurent, à commencer par le concept qui reste somme toute coercitif et induit des déséquilibres. Soyons patients en espérant aller dans le bon sens mais la réalité actuelle est moins reluisante. Chez les “ bio-oppurtunistes ”, bon nombre de viticulteurs ne sont pas de bons agronomes, la fraude existe et les conseillers sont pour beaucoup les mêmes qu’avant qui suivent la vague verte avec plus ou moins de pertinence. Rassurons-nous, ils ne parasiteront pas ce secteur bien longtemps car la nature est impitoyable. Une conversion mal engagée et une agriculture mal menée conduisent à un échec cuisant.
Ne s’improvise pas bio qui veut!

L’agriculture  en biodynamie

          Avant de rentrer dans le vif du sujet, il faut bien comprendre dans quel monde on pénètre. En comparaison de la médecine, tous les modes précédents s'apparentent à l'allopathie (médecine conventionnelle) alors que la bio-dynamie se rapproche de l'homéopathie. Dans le premier cas, on soigne un état pathologique, comme si être malade était un postulat : la vie est maladie ! Dans le second, on fait en sorte de ne pas être malade en étant bien portant, ce qui, dans notre contexte, n'est pas un pléonasme. Revenons à notre propos, on passe réellement de l’agriculture coercitive à l’agriculture incitative.
Pour comprendre ce mode de culture, il est nécessaire de revenir aux fondements de cette discipline qui n’est pas un phénomène nouveau. Comme l’expliquent la plupart des auteurs ayant étudié le sujet, c’est en 1924, à Koberwitz (aujourd’hui en Pologne), que Rüdolf Steiner (1861-1925) donna les bases de la méthode bio-dynamique, à travers une série de conférences, souvent décrites comme “ Cours aux agriculteurs ”.
R. Steiner, inspiré des nombreux écrits de Goethe, est le fondateur d’un courant de pensée appelé l’anthroposophie (littéralement la sagesse de l’homme), qu’il définit comme une méthode scientifique exacte permettant de faire des recherches sur les mondes suprasensibles. SILGUY (1991) explique que le but de Steiner était de créer une science spirituelle, applicable à tous les domaines de la vie. Dans le cas de l'agriculture, cette démarche spirituelle peut surprendre, mais elle permet une compréhension plus approfondie du monde qui nous entoure.
Durant ses conférences de 1924, Steiner expliqua que l’univers comprenait d’une part une réalité matérielle, c’est-à-dire ce que perçoivent généralement nos sens corporels, et d’autre part des phénomènes psychiques, qu’ils ne captent pas.
Pour lui, une science qui ne considère que les lois de la matière limite beaucoup ses capacités de compréhension du monde en général, alors qu’une science “spirituelle ” permet de mieux appréhender le monde terrestre en interaction avec l’univers.
Son approche anthroposophique de l’agriculture se traduit par une inquiétude en ce qui concerne l’utilisation excessive d’intrants chimiques au sein d’un sol considéré comme un organisme vivant et les nombreux déséquilibres qui s’en suivent. Steiner donna également toute une série de conseils pratiques, applicables sur le terrain pour régénérer un sol épuisé par les pratiques intensives et pour développer les liens entre vie pédologique, vie végétale et énergies. C’est E. Pfeiffer, à partir des thèses de Steiner, qui élabora la méthode ensuite appelée “biodynamique ” (en grec : vie et énergie) et qui la mit en place pour la première fois sur des domaines agricoles européens et américains. A ce jour, elle est surtout pratiquée dans les pays germanophones (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Suisse, Belgique), aux Etats-Unis et elle regroupe plus de 600 000 ha en Australie !
En France, cette approche a longtemps été considérée comme farfelue, peut-être à cause de quelques partisans sectaires qui justifient ainsi un mode de vie marginal. Aujourd’hui, de plus en plus de viticulteurs se penchent objectivement sur la question. Certains parmi les plus célèbres, ou les plus importants, convertissent progressivement leur propriété en tout ou partie. D’autres abandonnent simplement les usages productivistes et s’orientent vers des pratiques plus naturelles en s’inspirant de quelques principes de la bio-dynamie. Qu’ils revendiquent ou non leur démarche, ils sont tous motivés par une conscience patrimoniale de leur terroir. Les vignerons n’utilisent pas de produits de synthèse (tels les engrais, les insecticides, les pesticides, les désherbants), ils répondent en ce sens aux critères de l’agriculture biologique mais la démarche est bien plus profonde, animée par des principes.
La notion d’individualité agricole : le domaine (agricole) doit être indépendant sur  le plan énergétique au sens chaîne alimentaire. Il y a une complémentarité nécessaire entre le troupeau qui fournit du fumier et du lisier à destination des cultures qui, elles, fournissent les fourrages et la nourriture nécessaires aux bêtes, les prairies assurent la rotation. En viticulture, on est souvent en monoculture alors à défaut d’animaux, de surfaces cultivées et enherbées, on fait son propre compost ou on se procure les lisiers.  Dès qu’on cherche cette autonomie, on perd plein “ d’amis qui nous veulent du bien ”, le vendeur de produits, la coopé, la banque et son assureur favori, etc.…
La conception de la maladie : mieux vaut prévenir que guérir. Le point de vue biodynamique sur le sujet des ravageurs et des maladies présente un très grand intérêt. STEINER (1924) pensait que “ la dégénérescence est une conséquence de la destruction de l’équilibre biologique et amène l’irruption des “ ravageurs ” et des maladies : "c’est la nature elle-même qui liquide ce qui n’a plus assez de force pour vivre ”. L’apparition d’un fléau ne traduit pas la force du pathogène mais plutôt la faiblesse de l’hôte. En constatant un dégât, on peut le considérer comme une perte, ce qui manque pour atteindre les 100% ou au contraire, comme le renforcement de ce qui reste. La nature opiniâtre élimine l’excès, encore faut-il que l’homme comprenne ce qu’elle considère comme excessif.
Au-delà de la sélection naturelle, “ la maladie est souvent un bien qui n’est plus à sa place, un organisme sorti de la sphère où sa présence est salutaire ” et c’est dans le sol qu’il faut essayer de comprendre ce déséquilibre. Un champignon dans la terre est tout à fait inoffensif, mais totalement nuisible s’il remontre vers les parties foliaires de la plante.
Ainsi, en 1993, des chercheurs de l’Institut d’Oenologie de Bordeaux ont mis en évidence la présence, dans les sols des vignobles, d’une bactérie active contre le Botrytis, à partir de laquelle ils ont pu élaborer un fongicide biologique hautement efficace. Pour les biodynamistes, “ l’anti-Botrytis ” est déjà dans la vigne, à condition de ne pas le détruire. De leur point de vue, aussi bien le Botrytis que le mildiou et l’oïdium, sont des champignons que l’on a forcé à quitter le sol où ils étaient inoffensifs, et qui ont migré vers les parties aériennes de la vigne, feuilles et grappes, devenant des parasites.
Plutôt que de subir l’effet, on s’attaque à la cause en rétablissant les équilibres du biotope. On incite le champignon à rejoindre sa sphère et on rend la plante forte et hostile : un problème doit être appréhendé dans sa globalité.
Le sol : un organisme à part entière. Le dessein principal de la bio-dynamie est de recréer un équilibre durable entre le sol nourricier et la culture en place. La méthode permet de vivifier le sol afin que la plante retrouve ses ressources naturelles dans un sol bien pourvu, non pas dans un sol dont on compense la pauvreté. On favorise un système autonome en acceptant la récolte qu’il a la capacité intrinsèque à produire.
Les énergies et les rythmes naturels : pour les biodynamistes, l’exploitation agricole et par là même les cultures, matérialisent un lien entre les ressources terrestres (l’eau, le sol, les éléments minéraux et la roche mère) et les énergies (la chaleur, la lumière, l’air et l’eau encore). Une des  différences entre l’agriculture biologique et l’agriculture bio-dynamique, réside dans ces énergies et leur mise en valeur, d’une part par l’application de préparations dynamisées, à base de plantes et de minéraux, et d’autre part parce que les biodynamistes travaillent en fonction des positions planétaires, qui imposent un rythme au vivant. On distingue 4 périodes : l'une favorable aux racines, la seconde à l’expression végétative, la troisième aux fleurs et la quatrième aux fruits. Les préparations spécifiques seront mises en œuvre en fonction du calendrier biodynamique.
 Clonage et bio-dynamie : en ce qui concerne le clonage, l’avis des viticulteurs biodynamistes est relativement unanime. PEYROULOU (1993) écrit que  si les vieilles vignes produisent toujours de meilleurs vins, les raisons tiennent non seulement à leur vieillesse et à leur faible rendement, mais aussi à la diversité de leurs cépages.  Qu’est-ce qu’un clone sinon la monoculture poussée à son paroxysme ? Cette conception, purement technocratique, qui conduit à la reproduction d’un seul sujet, le meilleur soi-disant, à des dizaines de millions d’exemplaires, ne relève-t-il pas d’un idéal contestable ?
Pour les biodynamistes, c’est le résultat d’une sélection végétale trop intensive, qui fragilise la plante et qui serait une des causes de la recrudescence des maladies dans les vignobles. Dans le même registre, la plante OGM s’inscrit dans la continuité du clone par sa conception minimaliste, sous estimant grandement la capacité de la nature à réguler. Une caste de scientifiques se sentent investis d'une mission qu'ils intitulent "amélioration des espèces"alors que c'est tout le contraire. La nature sélectionne les meilleurs éléments en éliminant les autres (par les "maladies") et permet, grâce à leur reproduction, la sauvegarde et l'adaptation de l'espèce. La solution OGM n'est qu'un obstacle momentané à ce processus et les hommes qui y croient sont comme des enfants qui font un château de sable quand la marée monte. Au moins, ça les occupe.

Les avantages du concept biodynamiste sont de différents ordres. Sur le plan agronomique, le sol est très entretenu pour ne pas dire dynamique. Il favorise la biodiversité, toute la biodiversité, et maintient les écosystèmes en entente intelligente avec l’activité humaine, de manière réversible et pérenne. Economiquement, il diminue la dépendance financière en visant l’autonomie. En contrepartie, il nécessite des connaissances approfondies, une culture certaine découlant d’une philosophie de vie.
Attention toutefois aux dérives sectaires de certains pratiquants, restez objectifs et autonomes.

L’agriculture  naturelle

C’est une conception de l’agriculture en même temps complexe et simple. Complexe  parce qu’elle fait la synthèse de tout ce qu’il y a de bon dans l’approche bio dynamique et la production intégrée, ce qui implique d’avoir fait le tour de ces questions, si tant est que ce soit possible. C’est pourtant d’une simplicité déconcertante tant cette agriculture reproduit  ce qui se passe dans la nature.
Si on observe une forêt naturelle, on y perçoit une sensation d’éternité. Elle est pérenne en tant qu’entité grâce à un équilibre, une sorte de barycentre informel. Au sein de cet ensemble, chaque élément constitutif, visible ou non, a sa place, il participe à la pérennité de l’ensemble qui assure la sienne, cette communauté est en symbiose.
          Ce fonctionnement serait idéal si on s’en inspirait dans la viticulture car il ne demande pas d’intervention ( pas d’intrants, pas de main d’œuvre, un coût de production minime et beaucoup de vacances).
Concrètement,  pour s’inspirer d’un écosystème naturellement autonome, on doit comprendre, accepter, et promouvoir ce qui conduit à ce succès.
  
Les bons points de la foret
A l’inverse
Un sol couvert  avec litière (ou A00)
Sol nu
Un sol non tassé (structure construite)
Passages répétés d’engins
Aucune espèce dominante
Une seule espèce : monoculture
Dispersion statistique
alignement, rangée
Toutes les espèces vivent, aucune ne disparaît
100% de rendement/0% maladie
Accepter l’élimination des plantes faibles
sauver les plants malades

          Toute ressemblance entre la colonne “ à l’inverse ” et une vigne mécanisée conduite en lutte systématique serait fortuite !
          Ce mode d’agriculture est très proche de la nature, la récolte s’apparente d’ailleurs à une cueillette. L’environnement est le grand gagnant car il n’y a pas d’intrant, le minimum d’exportation, l’agriculteur aussi pour sa santé et la sérénité du travail. Pour que le résultat soit à la hauteur des espérances, il faut cependant être un naturaliste compétent et convaincu, disposer de suffisamment de surface pour atteindre l’objectif quantitatif et bien maîtriser la commercialisation. Ces deux derniers modes de production (bio-dynamie et naturel) sont tout à fait viables pour une entreprise à taille familiale. Ils ne me semblent pas transposables à une échelle supérieure, ni compatibles avec des objectifs mercantiles.
En résumé :
Concepts
Principe
Lutte systématique
Rémanence du produit chimique
Lutte raisonnée
Notion de risque
Lutte intégrée
Notion de perte
Agriculture biologique
Produits naturels mais système coercitif
Agriculture bio-dynamique
Agriculture incitative
Agriculture naturelle
L’activité humaine en symbiose

Sols et typicité ?

Pour évoluer vers les agricultures naturelles, on doit effacer la plupart des acquis et repartir sur de nouvelles bases, à commencer par le sol. L’agriculteur attache souvent plus d’importance à la plante qu’au sol qu’il considère comme un support plus ou moins docile, inerte et stable. En réalité, le sol est l'élément essentiel, on le qualifie d’être vivant qui naît, atteint la maturité et meurt. A l’échelle humaine, l’évolution est lente, presque imperceptible. C'est d'ailleurs pour cela qu'on ne voit rien venir : il a suffit d'une génération d'homme pour mettre en péril la vie de nos sols vieux de 1000 à 4000 ans. Cette génération, moderne et progressiste mais consumériste, a seulement eu besoin de 50 ans pour hypothéquer la capacité nourricière et l’autonomie des sols cultivables.
Depuis les années 60, la mécanisation, le désherbage et les sols non travaillés ont conduit à une dégradation physique. Le plus désastreux est ce qu’on ne voit pas : la vie du sol. A la base, cette biomasse grouillante admirablement organisée en une chaîne est sensée faire le lien entre la matière minérale et la matière organique en assimilant, en construisant des substances assimilables, autorisant ainsi une vie plus élaborée. Du champignon aux microbes en passant par les bactéries, tous sont spécifiques de l’écosystème (géologie, mésoclimat). Au lieu d’intégrer cette composante, de la caractériser, de la préserver et de l’entretenir, on a tout fait pour s’en affranchir. Fongicides et pesticides détruisent la microflore autochtone pour autoriser l’implantation d’une population généraliste, uniforme, de substitution.
Sans entretien, déstructuré et lessivé, neutralisé par une aseptisation systématique, tassé et asphyxié, le sol est peu à peu réduit au rôle de support quasi inerte. Si l’on rajoute à cela des exigences de production qu’un sol affaibli ne peut satisfaire, il faut bien apporter des compléments nutritifs de synthèse. Aujourd’hui, on se préoccupe essentiellement de nourrir sa vigne et peu de régénérer son sol. Hélas, elle s’apprivoise vite et, comme un chien docile qui attend sa gamelle, la plante déploie tous ses efforts dans un système racinaire horizontal, perdant sa faculté originelle à se  développer verticalement en profondeur. Elle s’affranchit du sous-sol.
Comprenons bien en quoi le choix du mode cultural est prépondérant pour l’avenir. On est parti d’une agriculture naturelle après guerre. Pour augmenter les rendements, on a cherché à diminuer les pertes et à accroître la récolte. Les pesticides, pardon les produits phytosanitaires (c’est beaucoup plus rassurant) ont rempli le premier objectif. Les engrais ont contribué au second, reléguant la fumure (apport de matière organique) au statut de technique archaïque et pénible. Tous les problèmes actuels découlent de cette substitution en induisant un mécanisme pernicieux. On va faire le parallèle avec un sportif en bonne santé aux résultats satisfaisants. On commence à se dire : “ il faut qu’il soit plus performant ” mais avec son alimentation équilibrée et sa bonne assimilation, il arrive un moment où il ne progresse plus et plafonne. Alors l’un dit : “ on n’a qu’à le faire manger plus ” mais il n’assimilera pas plus et ça ne changera rien. L’autre dit “ plutôt que de lui donner plus de nourriture, on n’a qu’à le doper en lui donnant des substances directement assimilables par les muscles ” et ça marche. Les performances augmentent et si l’appât du gain se rajoute, on accroît le dopage pour produire plus. Pendant ce temps, la nutrition classique apparaît inutile puisque avec les substances, tout marche mieux. Alors on abandonne la nutrition et on passe notre sportif au goutte à goutte. Son estomac s’atrophie mais il maintient ses performances pendant un temps. Lorsqu’elles commencent à décliner où que des disfonctionnements apparaissent, on force le goutte à goutte et on ne peut plus faire machine arrière. Si on arrête le dopage, le sportif ne produit plus l’effort et meurt. La production est devenue dépendante du goutte à goutte, autrement dit des intrants. C’est ce qui s’est passé quand on a confondu engrais et fumure. Les engrais sont le goutte à goutte, la fumure, en maintenant, voire augmentant la matière organique du sol est l’estomac.
Les argiles et l’humus constituent le garde manger des plantes. Sans apport, les taux s’amenuisent, les structures (grumeaux) sont détruites, les argiles et les humus ont tendance à se disperser et sont lessivés. La porosité diminue, c’est l’asphyxie, l’activité microbienne chute et le sol meurt.

Au-delà de cette approche technique, on peut faire une remarque d'ordre plus générale. Le rapport du consommateur à ce qu'il mange n'a jamais transpiré autant d'anxiété et donc de réglementations. On a des lois sur tout, la composition, les ingrédients, les gens qui le font, l'origine, quand peu de consommateurs sont réellement capables d'apprécier les conséquences hygiéniques et économiques de leur mode de nutrition.
On a vu émerger un véritable engouement pour les produits issus de l'agriculture biologique et la nature nous en remercie par les conséquences induites sur la production. Il est une deuxième idée qui se restaure doucement avec la notion de terroir et de typicité, l'intérêt retrouvé pour savoir d'où ça vient, si c'est issu d'une tradition. Finalement les valeurs d'antériorité, de racines et de patrimoine, sont beaucoup plus ancrées qu'on ne l'imagine, comme si pouvoir se référer à des choses existantes, immuables était rassurant dans une époque virtuelle et globalisée. Les vins français sont d'ailleurs les premiers à en profiter dans le monde agroalimentaire délocalisé. Mais comment appréhender cette notion de typicité sur le plan agronomique. D’abord, mettons-nous d’accord sur la définition du mot. La typicité pourrait être un lien unique qui existe entre le goût et le lieu de production. Transposé à la viticulture, cela sous-entend que le vin a une expression unique qui découle du raisin, et que le raisin a une composition unique qui découle du terroir. Repartons dans le sens logique de l’élaboration. Concernant le terroir, le sol se fait sur une géologie particulière. Une microflore et une microfaune spécifiques transforment le minéral inerte pour le rendre assimilable par le vivant.  On peut concevoir qu’avec une géologie particulière et ses microorganismes associés, la plante bénéficie d’une nutrition particulière et que la composition du fruit soit, elle aussi, particulière.
Quand on reprend les cultures non naturelles, que penser d'un mode de production qui tend à aseptiser son sol. Toute action qui détruit la microflore et la microfaune coupe la chaîne qui transforme le minéral inerte en organique vivant. On s'affranchit des conditions de milieu pouvant transmettre cette fameuse typicité tant recherchée.
Ensuite, une deuxième étape est essentielle. Si on a admis disposer d’un raisin unique, encore faut-il faire s’exprimer ses différences et peut être, en apporter de nouvelles, toujours spécifiques du lieu. Or les vinifications conventionnelles (plus de 95% des vins ) préconisent l'usage de levures rajoutées (une seule souche multipliée) pour la conduite (on appréciera le mot) de la fermentation alcoolique et la maîtrise (on appréciera aussi) des arômes. Cette conception est comparable à la production fromagère industrielle dans laquelle on pasteurise le lait pour détruire les ferments autochtones, puis on ensemence avec le ferment voulu.
Finalement, si l’on accepte le principe de typicité, deux étapes doivent être strictement respectées, la transmission de ce que confère le sol au raisin et ensuite de ce que le raisin exprime dans le vin, à chaque fois grâce à la microflore naturelle autochtone.
Au final, c'est un tour de force : un vin conventionnel “ empreint de typicité, reflétant son terroir et son histoire ” est en réalité issu d'un process visant à s'affranchir des deux interfaces qui pourraient transmettre l'expression unique.
Les naturalistes soulignent l’incohérence du système productiviste dans lequel on communique sur les mérites du terroir, de la typicité alors que dans la pratique, on est proche de la culture hors sol, dont on sait qu’elle donne des produits inodores et insipides, tout au moins uniformes, impersonnels et transposables.
Dans l’histoire de l’agriculture moderne, les techniques contre aléatoires ont contribué à s’affranchir de la diversité des terroirs. Les récoltes en résultant sont souvent réduites à leur contribution dans l’élaboration de produits alimentaires, peu valorisantes et peu valorisées.

Conclusion

Le principal enjeux de la voie naturaliste est de redonner au sol toute sont importance en pensant qu’il est l’élément originel de la qualité. Cette priorité incite à l’entretenir et à le préserver, ne serait-ce que pour conserver et transmettre sa capacité nourricière.
Indépendamment des convictions, des croyances, des enjeux sociétaux, économiques et politiques, des frontières, un hectare de sol préservé, c’est un hectare de sol qui reste apte à produire pour les générations futures, même si on ne sait pas encore ni quoi, ni comment.
Concernant la typicité des vins, seules la viticulture en biodynamie et la viticulture naturelle, peuvent revendiquer la notion de terroir au sens strict, en préservant la chaîne complète, de la parcelle au verre. Au niveau du sol, la pratique favorise les micro-organismes naturels et spécifiques qui font le lien entre l'endroit et le fruit. Ensuite au chai, les vinifications se font aussi avec les micro-organismes autochtones et variés, qui transmettent les particularités du fruit au produit fini. Quand le lieu est prédisposé à un fort potentiel qualitatif, le vin se distingue nettement à l'analyse sensorielle, largement au-dessus des attentes des œnophiles les plus exigeants.
Aujourd'hui, ces vins sont reconnus, la filière existe, elle se structure et se développe. L'avenir est encourageant mais on ne doit pas perdre de vue que ce type d'agriculture est limité en terme d'échelle, adapté à de petites structures, sur des terroirs dignes d'intérêt.
A mon sens, ce mode de vie est parfaitement transposable dans les régions dites défavorisées  sur la base des critères de l'agriculture conventionnelle, si la priorité est sociale et culturelle. Il favorise le maintient autonome des populations rurales mais ne s'intègre pas dans la création de richesses.